Le donneur d’ordre et le sous-traitant :
un couple stérile ?

En français, on parle de « donneur d’ordre » et de « sous-traitance » pour désigner la relation entre deux entreprises, comme si la relation de subordination était inscrite – par avance – dans les termes eux-mêmes. Comment concevoir une relation de confiance et de mutualisation des compétences, lorsque l’intitulé de la transaction place l’une des parties prenantes dans une position hégémonique et l’autre dans une position d’exécutant ? Ne serait-il pas nécessaire d’inventer un nouveau langage approprié à un nouveau type de relation plus co-constructive ? C’est précisément le parti pris de la co-construction : proposer une véritable refondation du lexique transactionnel et en faire un préalable à toute intervention stratégique.

Le lexique autoritaire et vertical du « donneur d’ordre »

Qu’est-ce qu’un donneur d’ordre ? Il s’agit littéralement de la personne (physique ou morale) qui donne des ordres, c’est-à-dire qui soumet le récepteur (humain ou animal) à son autorité. Quels que soient la nature et le média de l’ordre en question, on dira que le donneur d’ordre suppose un récepteur (et peut-être un exécuteur) de l’ordre en question et dessine une relation asymétrique entre deux parties prenantes (où l’une obéit à l’autre qui commande).

Curieusement, c’est précisément cette expression – le  « donneur d’ordre » – qui est utilisée en français pour désigner la relation de sous-traitance entre deux entreprises ; comme si la relation de subordination était inscrite – par avance – dans l’expression elle-même. Par définition, la sous-traitance est – aujourd’hui encore – considérée comme un contrat d’assujettissement entre une entreprise  « donneur d’ordre » et une entreprise « sous-traitant » ; l’entreprise « assujettie » étant tenue de réaliser une partie de la production du commanditaire. Dans le droit français, la sous-traitance est définie comme « l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage » 1 – loi numéro 75-1334 du 31 décembre 1975.

Comment concevoir une relation symétrique de confiance et de mutualisation des compétences, lorsque l’intitulé même de la transaction place l’une des deux parties prenantes dans une position évidente de subordination ? Autrement dit, la sous-traitance n’est-elle pas – par définition – une maltraitance ? En effet, en face d’un « donneur d’ordre », que peut-il y avoir d’autre qu’un exécuteur ou un non-exécuteur d’ordres ? Lorsque  le « donneur d’ordre » réclame – en prime – que le « sous-traitant » fasse preuve d’ « innovation », il est nécessaire de rappeler qu’il n’est pas aisé de simultanément obéir et innover.

La sous-traitance n’est-elle pas – par définition – une maltraitance ? En effet, en face d’un « donneur d’ordre », que peut-il y avoir d’autre qu’un exécuteur ou un non-exécuteur d’ordres ?

Sous-traitance : une relation profondément dégradée

Selon le dernier rapport parlementaire 2 effectué sur cette question, la relation de sous-traitance apparaît – en France – comme une relation « particulièrement dégradée ».

Même si certains outils juridiques ont été mis en place pour protéger l’entreprise sous-traitante – notamment la Médiation Interentreprises et des plafonds maximaux en termes de délais de paiement –, le rapport constate des « délais de paiement anormalement élevés et de nombreuses mauvaises pratiques, dont souffrent en particulier les petits fournisseurs et les sous‐traitants ».

Par conséquent, le rapport préconise plusieurs mesures :

  • maintenir un seul délai de paiement de 45 jours
  • rendre opérationnel le dispositif d’alerte des commissaires au compte
  • mettre en place des sanctions administratives proportionnelles au chiffre d’affaires
  • et renforcer les moyens de la DGCCRF (« notamment, en renforçant ses effectifs et en lui permettant de publier la liste des entreprises sanctionnées et de développer, en partenariat avec la Médiation Interentreprises, la mise en avant des entreprises vertueuses en matière de délais de paiement »).

Ces recommandations constituent indéniablement une avancée dans le processus de revalorisation de la sous-traitance, mais sont-elles suffisantes pour modifier profondément le rapport de subordination inscrit dans la sémantique elle-même ? Suffit-il de menacer à son tour le « donneur d’ordre » pour transformer la relation de domination qu’il entretient à l’égard de son « sous-traitant » ? Comment faire pour que le sous-traitant ne soit pas seulement considéré comme l’exécutant d’un commanditaire, mais véritablement associé – de façon active et respectueuse – à la production ?  Autrement dit, comment passer de la sous-traitance à une véritable coproduction ?

Transformer le langage pour transformer la relation : introduction à l’univers lexical de la co-construction…

Si l’on voulait réellement modifier la nature de la relation entre deux entreprises et sortir de cette logique du maître et de l’esclave, ne serait-il pas nécessaire – en premier lieu – de réformer le lexique de cette relation ? Car – en effet – comment pourrait-on transformer la nature asymétrique d’une relation, sans transformer la nature asymétrique des termes qui la désignent ?

Et si l’on remplacait le lexique du « donneur d’ordre » et de la « sous-traitance », par le lexique valorisant de l’ « acteur-source » et de ses « alliés » ?

C’est précisément le parti pris de la co-construction de proposer une véritable refondation du lexique transactionnel et d’en faire un préambule à toute intervention stratégique : inventer un nouveau langage approprié à un nouveau type de relation. Par conséquent, plusieurs notions ont déjà été élaborées pour atténuer la violence symbolique de certains termes en vigueur et valoriser l’ensemble des parties prenantes d’une transaction ou d’un processus : achat co-constructif ; vente co-constructive ; auteurité ; décideur déclencheur ; décideur intermédiaire ; changement co-constructif…

A chaque fois, il s’agit de s’affranchir du lexique autoritaire et vertical pour inscrire – à même le langage – l’interdépendance des acteurs impliqués et l’intégrale des intérêts en présence. Autrement dit, il s’agit d’inventer de nouveaux termes qui tiennent compte de la complexité du réel sans blesser aucune des parties prenantes.

Dans cet esprit, on pourrait proposer de remplacer le lexique du « donneur d’ordre » et de la « sous-traitance », par le lexique valorisant de l’ « acteur-source » et de ses « alliés ». Ce serait déjà un premier pas décisif en vue d’éloigner la relation de « sous-traitance » d’une relation de « maltraitance ».

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Notes:

  1. Loi numéro 75-1334 du 31 décembre 1975. Version consolidée au 01 décembre 2010 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000889241
  2. Selon le dernier rapport parlementaire effectué sur cette question http://www.economie.gouv.fr/files/2013_rapport_senateur_bourquin.pdf