Cher Emmanuel Macron,
cher « compagnon »…
Lettre d’une citoyenne anonyme au citoyen Macron… « C’était mon premier texte et je voulais vous remercier pour ce compagnonnage… » C’est par ces mots, dit-on, que vous avez clôturé les débats autour de votre loi, adoptée sans être votée au Parlement, engageant la responsabilité du gouvernement auquel vous appartenez. Compagnonnage. C’est par ce mot que je commencerai ces quelques lignes à votre attention.
Mon propos ici n’est pas de discuter du fond (du contenu) de cette loi. Ni d’ailleurs de sa forme, à proprement parler. D’autres s’en donnent à cœur joie. Et puis, j’ai toujours cette vague impression de manquer des informations stratégiques qui me permettraient de pouvoir juger de façon précise… Ce qui ne m’a jamais, bien entendu, empêchée d’avoir des opinions. Et ce qui n’a jamais, bien entendu, empêché d’autres que moi de s’exprimer sur le fond. Mais je m’égare.
Le co-constructeur…
Que s’est-il passé ? Du compagnonnage, que reste-il ? De là où nous sommes, certains ont dit que tout au long du processus législatif, vous avez été particulièrement attentif aux autres, que vous avez respecté, écouté, dialogué. Vous avez même reconnu vous être « trompé », à la grande surprise de vos collègues, qui ne savaient plus très bien à quel saint se vouer. Vous me pardonnerez l’expression, j’en suis certaine – vos compagnons, qui ne le sont plus, aussi.
Plus largement, l’emploi du terme « co-construire » semble être devenu une habitude au Ministère de l’économie, où tous les projets, dorénavant, paraissent être menés systématiquement avec les parties prenantes concernées. On le clame haut et fort…
Alors, comment allez-vous ?
Il va falloir nous dire ce que vous avez ressenti. Ce que vous ressentez encore. Si vous y croyez toujours.
Et puis, puisque c’était votre première fois, vous éprouvez peut-être encore cette sensation si particulière, celle qui inspire le sens profond qu’on donnera à toutes les autres (fois, lois ou convictions…). Cet homme politique que vous serez demain.
© Photo : Vanity Fair
Vivrons-nous ce moment ensemble ?
Un jour prochain, pas si lointain, naîtra cette VIème République – un nouveau régime politique – qui ne serait précisément pas la VIème République, mais la Première Démocratie. Nous y contribuerons, peut-être, vous, moi et les autres. Si tout va bien. Un jour prochain, le 49-3 aura disparu. Et avec lui les possibilités d’avancer sans les autres. Si tout va bien.
Parce qu’il va falloir (re)trouver pourquoi l’on fait ce que l’on fait. Parce que le manque chronique de moyens pour mener à bien des projets vitaux exigera d’être en capacité de nouer des partenariats plus complexes. Parce que, plus que jamais, il faudra savoir impliquer les autres pour réussir soi-même. Parce que la façon de gérer l’Etat et de mener l’action publique ne se fera plus jamais comme avant.
Parce que les individus sont entrés dans l’ère de l’implication, de la participation – pour le meilleur et pour le pire. Parce que les entreprises, comme tant d’autres types d’organisations humaines devront nécessairement s’adapter… Co-construire pour survivre. Une réponse possible. Une possibilité de continuer.
La politique n’y échappera pas. Et si aujourd’hui, les tentatives de démocratie participative sont encore empreintes de bonnes intentions et de marketing plus ou moins assumé, il faut admettre que le ton a changé. Il parait que le monde change…
Étrange épilogue
Mais ce jour n’est pas encore arrivé. Alors, quelles leçons tirer de votre tentative ? De là où nous sommes, c’est comme si la coopération avait engendré son inverse même. Comme si la co-construction avait justement abouti à la prise de décision unilatérale ultime – si loin du processus démocratique par excellence.
Étrange leçon. Étrange épilogue. Il va falloir nous dire ce qui n’a pas été possible. Il va falloir nous raconter, bien au-delà des querelles et des petits calculs politiciens. Bien au-delà de la dichotomie « intérêts personnels » versus « intérêt général » – comme si le pire, comme le meilleur, n’étaient pas toujours mus par une volonté de servir son propre intérêt… Que cet intérêt personnel s’aligne sur l’intérêt général ! C’est tout ce qu’on peut attendre d’un représentant politique. Bien au-delà des analyses de façade dont tout le monde se nourrit, il va falloir nous donner un retour d’expérience concret. Parce que nous en aurons besoin. Parce que cela nous concernera tous, bientôt.
Qu’est-on réellement capable de construire ensemble ? Vous, moi, eux, nous. Qu’espériez-vous ? Un projet de loi plus pertinent ? Des amendements plus nombreux ? Une future loi qui s’appliquerait de façon plus sensée ? Qu’en retiendrez-vous ? Un record d’heures passées à débattre ? Des menaces de mort ? Un 49-3 ? Une Constitution incompatible avec la co-construction ?
Êtes-vous l’incarnation vivante d’un changement de paradigme ? Les choses sont-elles en train d’évoluer ? Au sein de l’hémicycle même ? Au sein des ministères ? Dites-moi, honnêtement, quel est le sens de l’action politique lorsqu’on s’engage dans l’élaboration d’une loi en voulant faire contribuer tout le monde ?
Avons-nous progressé ?
Ah ! Complexe « bien commun »… Que puis-je savoir de ce qui est bon pour l’autre ? Que dois-je faire pour contenter tout le monde ? Que puis-je espérer pour que l’on s’entre-tue moins, demain ?
Parce que des élus qui défendent d’autres valeurs que les vôtres l’ont reconnu, j’ai choisi d’en déduire que votre volonté de co-construire n’était probablement pas qu’un élément de langage.
Alors, avant de fondamentalement co-construire la loi avec tous les citoyens, idée aussi magnifique qu’utopique, savoir de quelle façon les parlementaires (aussi peu nombreux furent-ils) ont mené cette démarche, nous importe…
De là où vous êtes, murmurez-moi une réponse, philosophique et concrète, que je puisse relayer pour qu’on avance, encore un peu. Co-construisez avec moi, cher citoyen Macron. Parce que votre compagnon aujourd’hui, c’est moi. Parce que vos compagnons de travail, demain, c’est nous. Parce que la terre se languit de ce chef d’oeuvre qui ne vient pas…
Merci de cette interpellation sur le fond.
Un peu trop longue pour être lue…
De mon point de vue il y a confusion entre d’une part des logiques d’acteurs qui s’opposent et d’autre part la notion de bien commun dont ces mêmes acteurs n’en ont guigne
Il y a de la comédie dans tout cela mais elle n’est pas « divine » loin de là
😉 Conçue pour être lue en diagonale également… Certes, la notion de « bien commun » fait presque figure de fantasme parfois. Mais on peut encore progresser. C’est bien là l’essentiel.
Ce que j’apprécie et soutiens, Chloé, c’est votre invitation à la relecture de l’expérience, qui mériterait qu’y soient associées plusieurs voix, outre celle du compagnon Macron, les voix de celles et ceux des autres compagnons qui ont vécu le processus avant le 49-3. La co-construction, ça demande un apprentissage et un apprentissage qui ne peut se faire vraiment que collectivement. En fait, j’irais même plus loin en disant que co-construire et co-apprendre, c’et la même chose. Ou encore, co-construire, c’est co-apprendre. Qu’en pensez-vous ?
Bravo et merci pour votre initiative et vos écrits.
Jean-Maurice, merci pour votre réaction. C’est en effet une invitation à un retour d’expérience. Vous avez raison, au-delà d’Emmanuel Macron, tout le monde devrait y être associé. La co-construction est en effet une éternelle redécouverte des autres, et d’un projet commun toujours singulier. C’est aussi ce qui fait son charme et ce qui lui donne de la valeur… Merci à vous !
Une lettre d’interpellations au citoyen Macron. Lui a t-elle était adressé, relayé parmi ses « compagnons »…?
Ce que je constate comme vous dans ce domaine comme dans d’autre c’est l’usage de mots, d’expressions « co-construction », démocratie participative, riche de sens en terme de relations humaines, d’échanges, d’écoute,des personnes concernées, d’implication de celle-ci dans les processus de décisions politique. Mais bien que le recours à ces mots dans le discours, dans les écrits officiels, soit nombreux force est de constater qu’il y a un fossé entre la parole et les actes.Vous l’écrivez avec justesse, la co-construction est plus complexe, mais aussi bien plus riche par l’approche collaborative qu’elle implique avec les parties prenantes.
Une lettre(un peu longue) mais à lire et à diffuser.
Merci pour votre réaction. Lettre un peu longue, mais 10 ou 20 lignes de moins n’y changeraient rien. Alors j’ai préféré ne pas faire de « coupes ». Je partage pleinement votre point de vue. La distance entre les paroles et les actes est parfois telle qu’on en vient à se demander si les mots ont encore vocation à signifier quelque chose de « réel »…
J’ai tenté d’écrire au ministre, j’ai cherché un mail (pas trouvé), j’ai écris au service de presse, et le formulaire en ligne pour écrire au gouvernement semble avoir quelques problèmes techniques
Quel dommage…
Votre lettre, Chloe, étant bien écrite, agréable à lire, peu importe sa longueur; elle donne envie de réfléchir aux sujets évoqués. Pour ma part je suis convaincu de la pertinence de l’approche coopérative et de la co-construction dans les entreprises (j’ai participé avec Alain Nifle à l’une de ses mises en œuvre).
Vous avez choisi comme destinataire symbolique de votre lettre un politique. Je pense que, en général, les bonnes pratiques d’entreprise inspirent trop peu les politiques, ce qui n’est pas étonnant compte tenu du faible nombre d’entre eux issus de ce monde. Réciproquement les pratiques politiques ont parfois tendance à s’étendre dans les entreprises, ce qui ne me parait pas toujours judicieux sur le long terme.
En conclusion il y a du travail pour la co-construction partout.